mardi 14 octobre 2008

Jean Gimpel

Voilà un livre dont on ne parle pas souvent. Sorti en 1968 dans l’indifférence générale, Contre l’art et les artistes, de Jean Gimpel, est un court essai, ou un long pamphlet, au thème pour le moins atypique...

Gimpel est à sa manière un réactionnaire, mais pas un de ceux dont on peut traiter la prose par dessus la jambe car son propos n’est pas dicté par un sentimentalisme esthétique envers tel âge d’or de la bourgeoisie ou de l’ancien régime. Les Marc Fumaroli, Alain Finkielkraut, Jean Clair et autres ont chacun une période artistique de référence et effectuent dans leurs écrits de périlleux aller-retours entre les œuvres, les médiums et la morale : la peinture à l’huile est-elle moralement supérieure à la peinture acrylique ? Ce n’est absolument pas le propos de Gimpel qui d’ailleurs ne cite que très peu d’artistes récents et fait en réalité commencer le déclin de l’art occidental à Giotto (1267-1337).
Le livre s’ouvre sur une citation violente que voici :

" Je ne serai pas fonctionnaire, non et non ! En vain mon père essayait-il d’éveiller en moi cette vocations par des peintures de sa propre vie ; elles allaient contre leur objet. J’avais des nausées à penser que je pourrais un jour être prisonnier dans un bureau ; que je ne serais pas le maître de mon temps, mais obligé de passer toute ma vie à remplir des imprimés.
… J’avais alors douze ans… Un jour il me fut évident que je devais devenir peintre, artiste peintre…
Mon père en demeura presque muet.
“Peintre ? Artiste-peintre ?”
Il douta de mon bon sens, crut avoir mal entendu. Mais lorsque mes explications lui eurent montré le caractère sérieux de mon projet, il s’y opposa aussi résolument qu’il pouvait le faire.
“Artiste peintre, non, jamais de la vie !”
Des deux côtés on en resta là. Mon père n’abandonna pas son “jamais” et je confirmai mon “quand même”. "

Au premier abord, il s’agit du récit romantique d’un jeune artiste. Mais ces phrases prennent une autre signification lorsque l’auteur nous apprend que l’auteur de la citation est d’Adolf Hitler et que les phrases ne sortent pas d’un quelconque journal intime d’adolescent perturbé mais sont issues de Mein Kampf. oui oui.

Passée cette brutale entrée en matière, Gimpel raconte, assez bien, comment l’artiste est passé au fil des siècles du statut de simple artisan, maillon de la société au même titre que le boulanger et le charpentier, à celui de sur-homme, de quasi divinité, dégagé de toute obligation morale et dont les caprices sont pardonnés avec une indulgence confondante. Il raconte quel décalage peut exister chez un même artiste entre une œuvre relevant de " l’art pour l’art " soutenue par un discours et des postures tout aussi révolutionnaires, et une pensée et une existence centrées sur une vie toute matérielle et mues par un souci de reconnaissance et d’ascension sociale parfois navrantes ...

Il y a bien dans ce livre une authentique détestation de l’art et des artistes, le titre n’est en rien une exagération. Si l’on en croit la quatrième de couverture de la première édition, Jean Gimpel a décidé un jour de bannir toute œuvre d’art de son existence. Voilà bien le genre de révolte que ne peuvent se permettre que les gens qui ont grandi entourés de tableaux de maîtres !

Pour conclure disons que Contre l’art et les artistes est sans doute un livre à lire, mais à lire en gardant une pleine conscience de ses lacunes et de son caractère excessif et partial (Il y a, au fond, dans tout pamphlet, beaucoup d’amour déçu, écrit Philippe Delaveau en préface à la seconde édition)

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